Situé à Marvila, dans la zone plus connue sous le nom de Chelas, le Bairro das Amendoeiras a été revendiqué, quatre jours après le 25 avril 1974, par une population qui vivait alors dans des baraques disséminées dans divers quartiers de Lisbonne et qui a occupé les maisons qui s’y trouvaient, construites et inoccupées.
Pendant un an, ils y ont vécu, jour et nuit, sans clés, sans eau, sans électricité, jusqu’à ce que leur droit à y demeurer soit reconnu.
L’histoire a inspiré le Teatro do Vestido, qui a voulu rendre hommage aux «luttes des femmes et des hommes qui ont osé expérimenter de nouvelles formes d’organisation populaire».
Le résultat a été le spectacle ‘Museu dos Moradores’ — présenté ce week-end à quatre reprises —, intégré dans le travail «avec et pour la mémoire» que développe le Teatro do Vestido.
« Beaucoup de ces personnes qui ont réalisé ces occupations sont ici aujourd’hui et nous les rencontrons dans la rue. Tout le monde raconte ces histoires et (…) avec beaucoup de fierté. Il n’y a pas de souvenirs honteux », a relaté la directrice artistique du Teatro do Vestido, Joana Craveiro.
Dans une interview donnée samedi, avant le début d’une des «déambulations participatives», la dramaturge a fait le lien avec la crise du logement actuelle.
À Chelas, ces jours-ci, elle a constaté «une indignation totale» face aux expulsions et aux démolitions, «une sorte de compassion, comme on n’en trouve peut-être pas ailleurs, car les gens semblent revoir leur vie défiler devant leurs yeux».
Le droit au logement est inscrit dans la Constitution, «c’est donc un droit que nous avons tous», rappelle-t-elle, précisant que des scènes comme celles observées dans le quartier du Talude Militar à Loures, il y a une semaine, ont réveillé chez les habitants du quartier «une mémoire traumatique très forte».
La même «indignation» surgit face au fait que leurs enfants — ceux qui ont occupé des maisons vides en 1974 — ne puissent aujourd’hui(placer) trouver ou garder un logement.
Une habitante qui a collaboré avec l’équipe du théâtre attend que ses enfants de 50 ans, eux-mêmes déjà parents, retournent dans sa maison de deux chambres, où ils vivront tous ensemble.
« Il y a un lien absolument clair, (…) entre le présent que nous vivons et le passé, que je n’ai pas vécu non plus, mais qui m’a été raconté ou que je suis allé chercher », explique Joana Craveiro.
L’important est «d’offrir au spectateur une expérience d’histoires auxquelles il n’aura autrement pas accès, car elles ne sont pas inscrites dans l’espace public, elles ne sont pas inscrites dans les manuels et, au contraire, souvent il y a une destruction de ces histoires», observe-t-elle.
« Dans nos spectacles, nous faisons confiance à nos spectateurs, qu’ils vont faire quelque chose avec cela, soit en devenant plus éveillés, soit en étant plus conscients », admet-elle, rappelant que les habitants qui ont occupé des maisons dans le Bairro das Amendoeiras ont reçu la promesse, lors d’une assemblée en 1974, qu’au bout de 25 ans, les maisons seraient à eux, moyennant un loyer contrôlé qu’ils paieraient jusqu’à cette date.
Il n’y avait rien d’écrit, « parce que la parole valait tout », et « au bout de 25 ans les maisons n’étaient pas à eux », souligne-t-elle, rappelant que l’État a transféré la propriété des quartiers sociaux des Amendoeira et des Loios à une fondation privée, qui augmenterait les loyers de mille pour cent.
En 2007, ils ont fini par être de nouveau sous la tutelle de l’Institut de l’Habitation et de la Réhabilitation Urbaine, mais divers problèmes y persistent encore.
« Ce que nous avons fait, c’est essentiellement marcher dans les rues, sonner à des portes ou aborder des gens assis dans la rue, d’un certain âge, (…) et demander comment ils sont arrivés ici. Sont-ils venus en 74? Quand la personne dit oui, un barrage d’histoires s’ouvre », raconte Joana Craveiro.
La dramaturge souligne également que les femmes étaient «en première ligne», défendant les maisons pendant que les maris allaient travailler, ce qu’a confirmé une habitante, qui est entrée dans la pièce pour témoigner de son histoire réelle.
Actuellement, l’espace public «est très difficile», reconnaît Joana Craveiro.
« Notre société, notre communauté est fragmentée, tous les squelettes sortent du placard », déplore-t-elle, se référant une fois de plus au passé: « À cette époque, tout le monde était démocrate, tout le monde était antifasciste, ce qui n’était pas vrai, ce consensus n’existait pas, il n’a jamais existé, parce que la révolution a été faite contre certains, c’est pourquoi c’est une révolution. »
Or, 51 ans après le 25 avril, «nous n’avons jamais réussi à regarder notre histoire en face» et ce «passé colonial mal résolu (…) nous attrape maintenant, (…) dans une société fragmentée, dépolitisée ou politisée d’une manière que nous ne comprenons pas très bien».
En attendant, en novembre, le Teatro do Vestido va présenter en première ‘Torrente’, un regard sur « le processus révolutionnaire dans son ensemble », a précisé Joana Craveiro.
Cela parce que le peuple est descendu dans la rue le 25 avril 1974, mais le processus révolutionnaire s’est étendu au-delà de cette date, en essayant « de nouvelles formes de pouvoir populaire ».
De plus, même lorsque l’on parle du PREC (Processus Révolutionnaire en Cours, période troublée d’événements politiques, militaires et sociaux qui a secoué le Portugal entre le 28 septembre 1974 et le 25 novembre 1975), rien de particulier n’est dit : « que s’est-il passé dans la santé, dans l’éducation, dans le logement ? », s’interroge la dramaturge.
‘Torrente’ — qui va être présenté en première à la ZDB Galeria Zé dos Bois et est une coproduction avec le Teatro Académico de Gil Vicente (TAGV), de Coimbra — sera un spectacle « d’envergure », pour « essayer de couvrir ces différents aspects dans un processus révolutionnaire qui a été très complet ».