« La vision européenne doit être aussi pragmatique que possible », d’autant plus qu’il existe « un nouveau panorama international, qui n’est pas bien défini, et avec lequel je crois que l’Union européenne [UE] n’est pas à l’aise », souligne Clara Carvalho, professeure au Département de Science Politique et Politiques Publiques de l’ISCTE-Institut Universitaire de Lisbonne.
Le contexte international « a beaucoup changé depuis le dernier sommet [en 2022 à Bruxelles] », rappelle-t-elle, se souvenant que « l’Europe assistait au début de la guerre en Ukraine », qui persiste, ainsi qu’à d’autres conflits. Ajoutons, explique-t-elle, la manière dont les États-Unis et leur Président, Donald Trump, « interagissent avec les organisations multilatérales » comme l’Union européenne (UE) et avec l’Afrique, privilégiant des relations bilatérales et sélectionnant des partenaires stratégiques, dans une « réforme complète » de la diplomatie américaine, illustre-t-elle.
Un défi pour l’UE, qui se voyait encore récemment comme le principal partenaire de l’Afrique, et qui se retrouve maintenant confrontée à l’entrée et à l’influence de nouveaux acteurs internationaux, comme la Chine, la Turquie et l’Amérique latine – fruit de la coopération Sud-Sud -, ce qui est souligné par la spécialiste.
Le pire, affirme-t-elle, c’est qu' »il y a des intérêts de base dans les pays africains auxquels l’UE ne donne aucune réponse ». Et « en tête de ces intérêts se trouve peut-être la question de l’architecture financière et de l’allègement de la dette », mentionne-t-elle, notant qu' »aucune ouverture par l’UE n’a été observée pour négocier à ce niveau ».
Un autre problème est que « les sommets sont surtout symboliques » et « les grandes décisions, souvent, ne sont même pas discutées ».
Toutefois, Clara Carvalho a souligné qu’il y a environ un mois, lors de la dernière rencontre du Global Gateway à Bruxelles, « des négociations ont eu lieu de manière bien plus pragmatique qu’à l’accoutumée », ce qui signifie qu' »il est possible de prévoir que ce type d’approche se développe, car elle est nécessaire ».
Et elle est nécessaire parce que, note-t-elle, « l’Europe a besoin de l’Afrique et de cette alliance géostratégique, de main-d’œuvre, d’une migration structurée, d’investir et de trouver de nouveaux marchés, notamment en raison de la proximité ».
Malgré ce dernier signal encourageant, l’universitaire lance un avertissement : « Il y a une certaine tendance du côté européen à oublier quelque chose que le côté africain n’oublie pas. C’est que l’Europe a colonisé presque tous les pays africains. Ce passé n’est pas oublié et les Européens ont eu cette philosophie d’être les donateurs, ceux qui dictent les règles. Cela ne peut pas continuer ainsi. Cette attitude doit être dépassée ».
La chercheuse Carina Franco croit que, précisément, « la question des réparations historiques » sera l’un des « sujets principaux » en raison de « l’historique du colonialisme dans les sociétés africaines ».
La professeure à l’Institut Portugais de Relations Internationales de l’Université Nouvelle de Lisbonne note que « lorsqu’on parle des réparations historiques, il ne s’agit pas tant de questions financières, mais plus symboliques, de réparations historiques en termes de réécriture de l’Histoire et de changement de la narrative sur ce qu’est l’Afrique et ses relations avec le continent européen ».
L’un des thèmes abordés lundi et mardi à Luanda sera la sécurité, dont le financement « pose des défis à l’Union africaine en tant qu’organisation, en termes de durabilité et de viabilité financière de ses interventions », ajoute-t-elle, rappelant que « l’Union européenne a quelque peu perdu son cap sur la question du Sahel », théâtre de violences extrémistes, de coups d’État, et observant un éloignement de l’influence française dans la région, sur un continent africain qui désire, souligne-t-elle, se libérer du néocolonialisme et des menaces à la souveraineté.
Enfin, lors de la table ronde euro-africaine, le multilatéralisme sera également débattu, alors que « de plus en plus de » discussions sont menées au niveau bilatéral, ces forums, comme le Sommet UE-UA, « étant peut-être de plus en plus secondaires dans les décisions ».
L’Europe a besoin de plus de pragmatisme, considère-t-elle, admettant avoir observé de récents signes de la diplomatie européenne suggérant que l’UE peut évoluer vers une « approche transactionnelle », une politique extérieure où l’UE négocie et coopère avec d’autres pays sur la base d’accords pragmatiques, très axée sur les intérêts mutuels, moins sur les principes idéologiques.
En utilisant l’exemple de la sécurité, Carina Franco prédit que l’on verra « de plus en plus ce type de coopération en termes de sécurité, au niveau bilatéral, dans cette modalité transactionnelle, d’échange de faveurs ou d’échanges de valeurs, comme on voudra l’appeler ».
« Mais il y a vraiment un changement de paradigme », souligne-t-elle, rappelant toutefois, pour de bonnes raisons, l’un des points incontournables à aborder lors du Sommet UE-UA : la Stratégie Global Gateway de l’Union européenne, un plan pour financer des projets d’investissement durable, que l’universitaire affirme avoir consolidé en matière de coopération et d’investissement public dans le secteur privé africain.
L’UE est composée de 27 pays, dont le Portugal. L’UA se compose de 55 nations, dont l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe et le Mozambique.
