Mon livre sur Rabo de Peixe n’est pas une apologie du crime, c’est un avertissement.

Mon livre sur Rabo de Peixe n'est pas une apologie du crime, c'est un avertissement.
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Portugal France

Rúben Pacheco Correia est devenu, ces dernières années, un visage bien connu des Portugais. Il est un participant régulier de divers programmes télévisés pour discuter de sujets variés, y compris la gastronomie. Cependant, tout le monde ne connaît pas une de ses autres grandes passions : Rabo de Peixe, la paroisse qui, entre-temps, est devenue vila et où il est né.

 

C’est précisément sur ce lieu emblématique (souvent sujet à des préjugés), que le gastronome, entrepreneur et futur avocat a écrit dans son cinquième livre, le deuxième publié par Contraponto.

‘Rabo de Peixe – Toda a Verdade’ décrit, avec la rigueur d’une enquête journalistique, ce qui s’est réellement passé pendant l' »été chaud » de 2021, comme le décrit l’auteur, sur l’île de São Miguel, aux Açores.

« Et si l’histoire de Rabo de Peixe était encore plus rocambolesque que celle racontée dans la série Netflix ? », provoque Rúben à un moment donné du livre. Et la vérité, c’est qu’elle l’est, en quelque sorte.

Le 6 juin de cette année fatidique, Antonino Giuseppe Quinci, le trafiquant italien à l’origine de cette ‘narrative’, a changé le destin de plusieurs générations de rabopeixenses en accostant dans la vila, après avoir dissimulé, le long de la côte de São Miguel, plus de 700 kg de cocaïne.

La drogue, qui a enrichi certains, a également été responsable d’un désastre qui a causé plusieurs décès par overdose et la destruction de familles entières.

Beaucoup de choses se sont passées en lien avec cette affaire et certains mythes ont été créés. Mais Rúben nous révèle maintenant la « vérité des faits », ainsi que les « protagonistes en chair et en os » de l’histoire qui a inspiré la série à succès de Netflix ‘Rabo de Peixe’, d’Augusto Fragata.

De Sandro G (oui, le rappeur açorien de ‘Tu és uma Galinha’) à l’inspecteur de la PJ qui a dirigé l’enquête, en passant par ceux qui ont aidé Antonino à s’échapper de prison et ceux qui l’ont hébergé, Rúben guide le lecteur dans un ‘voyage’ là où personne n’était allé auparavant : il a rencontré la famille d’Antonino Giuseppe Quinci, en Sicile, et l’a rencontré lui-même, au Brésil, où il est de nouveau emprisonné.

‘Rabo de Peixe – Toda a Verdade’, dont la préface est signée par Luís Marques Mendes et la postface par Valter Hugo Mãe, arrive aujourd’hui dans les magasins, jeudi 8 mai, et donnera bientôt lieu à un documentaire en trois épisodes sur TVI.

La présentation du livre à Lisbonne a été assurée hier, le 7 mai, par José Eduardo Moniz. Elle a compté avec la présence du Président du Gouvernement Régional des Açores, José Manuel Bolieiro, de l’ancien Premier ministre Pedro Passos Coelho et de l’ancien ministre des Affaires Parlementaires, Miguel Relvas, parmi d’autres personnalités bien connues de la politique nationale, du sport et de la télévision.

Vendredi, il sera présenté à Rabo de Peixe, aux Açores, par Manuel Luís Goucha. À Vila Nova de Gaia, où la date de présentation est prévue pour le 16, il sera présenté par Teresa Guilherme.

Mon différend avec Netflix n’est pas seulement une question de droits ou de contrôle, mais surtout d’intégrité et de respect pour la vérité

Le jeudi 8 mai marque le lancement de ‘Rabo de Peixe – Toda a Verdade’. Ce livre a suivi la série à succès de Netflix portant le nom de l’ancienne paroisse, aujourd’hui vila, où vous êtes né. Pourquoi pensez-vous que cette série a terni l’image de Rabo de Peixe ?

La série Netflix, bien qu’elle ait attiré des audiences et mis Rabo de Peixe sous les projecteurs, a fini par créer une narrative qui, parfois, réduisait la communauté à un ensemble de stéréotypes. En tant qu’auteur, je vois dans la littérature une opportunité d’offrir une vision plus pleine, plus humaine. La narrative télévisuelle, en se concentrant sur le dramatique et le sensationnel, a fini par occulter la beauté, la force et la dignité de ce peuple. Mon livre naît justement de ce besoin de restituer la complexité et l’âme de Rabo de Peixe, de raconter son histoire avec la profondeur qu’elle mérite. Et, surtout, avec vérité.

Pensez-vous qu’avec le livre vous avez enfin réussi à rendre ‘justice’ à Rabo de Peixe en racontant « toute la vérité » sur l’histoire protagonisée par Antonino Quinci, en 2001, aux Açores ?

La justice, dans ma conception, est surtout une quête de la vérité. Et cette vérité est parfois oubliée ou déformée par des narratives superficielles. En écrivant ce livre, j’ai voulu être un médiateur entre le passé et le présent, offrir une opportunité de lecture plus authentique, sans détours ni demi-mots. J’espère sincèrement que cette œuvre contribuera à ce que Rabo de Peixe soit vu dans toute sa plénitude, sa complexité, son humanité — une véritable justice qui dépasse les faits et touche le cœur. J’ai tenté de relater l’histoire en m’approchant le plus possible des témoignages que j’ai reçus tout au long de l’enquête.

À un moment donné, vous avez révélé que vous aviez un en raison d’un documentaire que vous prépariez tous les deux. Quelle est la situation ?

La question reste à résoudre. Je ressens une responsabilité de m’assurer que la narrative d’une histoire aussi complexe soit fidèle et respectueuse. Mon différend avec Netflix n’est pas simplement une question de droits ou de contrôle, mais surtout d’intégrité et de respect pour la vérité. Je crois qu’il y a de l’espace pour une compréhension plus profonde ou une collaboration future qui honorerait l’histoire de Rabo de Peixe de manière plus juste.

Cela signifie-t-il que nous aurons un documentaire basé sur le livre ‘Rabo de Peixe – Toda a Verdade’ ?

Oui, il y a des plans concrets pour un documentaire qui vise à aller au-delà des mots, à capturer l’essence de Rabo de Peixe à travers des images, des témoignages et une narrative visuelle qui complète mon écriture. Nous en sommes encore à la phase de planification, mais je veux qu’il soit une œuvre qui respecte la complexité de l’histoire, qui dialogue avec le livre et qui permet au public de ressentir l’âme de cette communauté et de se laisser intriguer par la vérité, qui est aussi, voire plus, intéressante que la fiction elle-même.

Parmi les histoires d’Antonino Quinci et ses proches, en Italie, j’ai découvert un univers sombre, enraciné dans le trafic de drogue et lié à la mafia sicilienne

Sans vouloir trop en révéler sur le livre, mais en dévoilant que vous avez eu l’occasion de parler avec Antonino Quinci, qu’avez-vous ressenti en étant face à cet homme et sachant qu’il a été responsable de la destruction de nombreuses familles et de la mort de plusieurs personnes aux Açores ?

Ce fut une expérience qui m’a profondément marqué. Être en présence de quelqu’un qui, d’une manière ou d’une autre, a été au cœur de douleurs et de pertes si profondes, m’a apporté un mélange d’émotions difficiles à nommer. En tant qu’intervieweur, dans ces conversations, j’ai essayé de maintenir une responsabilitité éthique d’écouter et de comprendre, mais aussi de ne pas perdre de vue ma mission de dénoncer et de révéler. Cette rencontre a été, avant tout, un exercice de courage, d’empathie et d’honnêteté face à une histoire qui doit être racontée — si difficile soit-elle. J’ai grandi en entendant parler de l’Italien comme d’une figure presque légendaire. L’avoir devant moi a concrétisé l’histoire matériellement. Cela a donné un visage et une identité à un homme qui a toujours essayé, sa vie durant, de fuir sa propre identité.

Une des informations que vous révélez dans votre livre – et qui était jusqu’alors inconnue – est qu’Antonino n’a pas seulement réussi à s’échapper de l’Établissement Pénitentiaire de Ponta Delgada. Il a échappé à d’autres prisons, à de nombreuses détentions et a même vu ses peines réduites, non pas une mais plusieurs fois. Pensez-vous qu’il est, d’une certaine manière, protégé ?

C’est l’une des questions les plus troublantes que mon livre cherche à aborder. La fuite d’Antonino Quinci de plusieurs prisons, conjuguée aux réductions successives de peine, suggère qu’il y a quelque chose de plus que de simples erreurs ou circonstances isolées. Ayant enquêté sur la vérité derrière des histoires complexes, je ne peux m’empêcher de me demander s’il a été d’une certaine manière protégé par des intérêts cachés, par des réseaux qui transcendent le système judiciaire ou si la justice elle-même persiste à faillir.

En plus d’interviewer Antonino Quinci, vous avez également interviewé – et même rencontré à différents moments – plusieurs membres de la famille du trafiquant, en Italie, qui sont également impliqués dans le trafic de drogue. N’avez-vous pas peur de la mafia sicilienne ?

Tout au long de ce parcours, j’ai plongé dans une réalité qui va bien au-delà de ce que l’on peut imaginer. Parmi les histoires d’Antonino Quinci et de ses proches, en Italie, je me suis retrouvé face à un univers sombre, enraciné dans le trafic de drogue et lié à la mafia sicilienne. Je confesse qu’il y a une inquiétude légitime, une sensation de vulnérabilité, surtout en entendant des récits si chargés de violence et de silence. Cependant, j’ai toujours vu dans le courage de confronter ces histoires une mission éthique : donner voix à la vérité, si inconfortable soit-elle. Mon espoir est qu’en exposant ces réalités, je puisse également contribuer à une réflexion plus profonde sur la nécessité de justice et de courage social pour combattre ces intérêts obscurs. Ce n’est pas un éloge du crime. C’est un avertissement à la société.

Antonino Quinci et ses proches ont-ils déjà lu le livre ? Que pensez-vous qu’ils en diront ?

Ils ne l’ont pas encore lu. Ils ont été très coopératifs avec moi tout au long du processus. Je suis sûr que le travail effectué respecte fidèlement tous les témoignages que j’ai recueillis, donc je ne pense pas qu’ils se sentiront trahis.

Prévoyez-vous de leur parler à nouveau ? Raconter de nouvelles histoires sur la famille ?

Je crois que l’histoire ne se termine jamais vraiment. Il y a toujours la possibilité de réécrire des chapitres, de révéler de nouvelles couches ou de narrer d’autres aspects qui restent, pour l’instant, cachés. La vérité, par sa nature même, n’est pas un bien fini ; elle est en mouvement constant, toujours susceptible à de nouvelles révélations, surtout lorsque nous traitons de vies aussi mouvementées et complexes que celles d’Antonino et de sa famille. Je ne peux garantir que ce livre soit le dernier chapitre. Peut-être y a-t-il de l’espace pour continuer à raconter cette histoire. Parce qu’en fin de compte, la quête de la vérité est un voyage sans fin.